Association toulouse CEI

Les Larmes sèches de l’Aral jusqu’au

dimanche 14 août 2016.
 

Les larmes sèches de l’Aral

Tout commence comme toutes les histoires liées à la colonisation. Conquête, spoliations, révoltes et répressions...

Amorcée par les colons russes à la fin du XIXème, puis programmée par les autorités soviétiques dans le cadre des plans quinquennaux, l’agriculture irriguée en Asie centrale a conduit à une succession de catastrophes majeures, toutes liées les unes aux autres. La plus médiatisée est représentée par l’assèchement de l’Aral, avec ses chalutiers rouillés, corrodés par le sel, gisant dans le désert au milieu des chameaux.

L’état soviétique organise la politique des grands travaux. L’Asie centrale (en particulier l’Ouzbékistan) doit devenir le plus grand producteur de coton du monde.

Dès 1954 plus de 8 millions d’hectares, dédiés à la culture du coton et du riz, sont planifiés dans un écosystème sec inadapté.

Les eaux de l’Amou Daria (au sud), du Syr Daria (au nord) et de leurs affluents sont détournées au profit des canaux d’irrigation. Ceux-ci sont construits à la hâte sans procédure d’étanchéification, ni système de drainage efficace. Une utilisation massive d’intrants chimiques à vocation agricole va entraîner la pollution de tous les circuits de l’eau.

Dès le début des années 70, on observe le recul de l’Aral, (par salinisation et compaction des terres : voir photos ci dessous), l’augmentation du taux de salinité des eaux des rivières et du lac, la contamination des poissons, leur disparition progressive, et l’impact sur la faune et la flore.

Les activités portuaires et piscicoles sont sinistrées, auxquelles s’ajoute une détresse économique (chômage 80%) et sanitaire sans précédent.

Aujourd’hui la végétation colonise les fonds exondés de l’Aral. La nature reprend ses droits. Le barrage de Kokaral, financé par la Banque Mondiale, a été édifié en 2000 pour séparer les deux bassins.

Il a permis une petite réhabilitation d’environ 1/10 de l’Aral côté kazakh, et le maintien d’une activité de pêche. Les problèmes liés à la qualité des eaux ne sont pas résolus. Le barrage kazakh a condamné définitivement les riverains ouzbeks.

Environ 3,5-5millions de personnes sont exposées à la pollution. L’eau et la chaîne alimentaire sont empoisonnées par la chimie agricole. Les métaux lourds contenus dans les intrants agricoles (zinc, manganèse) empêchent la fixation du fer. Au Karakalpakhstan, une petite république autonome d’Ouzbékistan, à l’aval du système d’irrigation sud, 97% des femmes en âge de procréer sont anémiées (chiffres de la FAO), leur taux d’hémoglobine est trop bas. Cela induit des souffrances respiratoires chez le nouveau-né (hypoxie ou anoxie néonatales). Les taux de morbi-mortalité infantiles sont élevés, avec des pourcentages qui diffèrent selon les régions. Au Karakalpakhstan, ce taux est un des plus élevées au monde. Il faut y associer le taux de mortalité maternelle. Les équipements hospitaliers sont insuffisants et sous dotés en personnels. Il existe aussi une crise des vocations médicales. Par ailleurs, ces femmes sont soumises à des avortements spontanés multiples. Les malformations fœtales sont diverses, les maladies congénitales apparaissent avec un taux inquiétant d’anencéphalies, de fentes labiopalatines (bec-de-lièvre). L’eau est trop « dure », les enfants souffrent aussi de rachitisme, pouvant entrainer un handicap physique ou mental par une calcification trop précoce des os. Liées à une inhalation ou ingestion permanente de sels qui contiennent du sulfate de soude, les ophtalmies, les pathologies bronchiques sont multiples.

Les maladies cardiaques (dont infarctus), rénales, ou intestinales sont répertoriées pour des raisons identiques. Les diarrhées, les fièvres typhoïdes ou paratyphoïdes sont très fréquentes. Des troubles thyroïdiens sont également rapportés. L’atteinte du système immunitaire favorise la recrudescence des maladies infectieuses (microorganismes véhiculés dans les eaux stagnantes) comme l’hépatite, la tularémie, la tuberculose (400/100 000 h) avec des taux de souches résistantes de BK, ou la peste (endémique dans les steppes rases où prolifèrent les rongeurs). Des cas de varioles (307/100 000 h) ont été signalés. Nombre de cancers sont diagnostiqués, dont les leucémies, bien davantage que dans les autres régions de l’ex-Union Soviétique.

Il faut souligner que les coupures d’eau courante sont récurrentes (même à Samarkande) au bénéfice des aires irriguées. Les infrastructures sanitaires ne sont pas réparées, faute de moyens économiques. J’ai vu des femmes laver la vaisselle ou leur linge, directement dans les eaux des canalets (système oasien) au dehors.

Il faut mentionner que les écoles et les universités sont fermées plusieurs semaines là l’époque de la récolte (septembre-octobre) du coton. La première cueillette est manuelle, de plus belle qualité. Toutes les mains sont alors réquisitionnées. Les secondes se font après l’épandage de défoliant et mécaniquement.

L’éclatement de l’URSS est un facteur aggravant de la catastrophe. En 1992, faute d’être payés, les fonctionnaires de l’Armée Rouge sont rentrés chez eux, abandonnant les centres de recherche bactériologique de l’île de Vozrojdénié (la résurrection) et d’Arals’k. On y travaillait sur des armes biologiques, leurs antidotes et vaccins et des tests étaient pratiqués sur des animaux à Katubek, la seule ville de l’île de Vozrojdénié. C’était des zones interdites. Des fûts d’anthrax, tularémie, brucellose, peste, typhus et autres micro-organismes génétiquement modifiés sont restés sans surveillance ni protection. Lors d’une première mission, les américains ont pu constater que les souches étaient toujours actives en 1997. Ils ont terminé de sécuriser les sites en... 2005. Personne n’est en mesure de dire ce qu’il a pu se passer exactement. Nous savons seulement que des hommes sont venus sur l’île à la recherche de ferraille à revendre... Le professeur Monique MAINGUET rapporte également dans ses travaux, que des stocks de produits chimiques ont aussi été abandonnés en l’état, dans des aéroports aujourd’hui fermés.

Que dire des essais nucléaires à ciel ouvert qui ont eu lieu au plus fort de la guerre froide ? Les cratères ont été localisés par le professeur René LETOLLE, sur le plateau de l’Oust-Ourt (banque ouest de l’Aral, totalement inhabitée). Des traces de strontium sont encore relevées dans le sang des patientes examinées.

Il aura fallu moins de 30 ans pour tuer l’Aral et empoisonner tout un peuple. Après avoir été spoliés, déportés, sédentarisés de force, ils ont aujourd’hui presque tout perdu. Tout, sauf leur courage et une dignité admirable. Seuls, ils ont repris une petite activité d’élevage.

Les Karakalpaks appellent « les larmes sèches de l’Aral » les sables salés qui rongent tout sur leur passage, quand le vent du désert les soulève et les emporte. Les images satellites montrent des courants de poussières toxiques qui s’étalent sur plusieurs centaines de kilomètres. Les gens disent ici, que la nature s’est vengée de la folie des hommes...

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-  Katia pour l’association PROJET ARAL

Diplôme en Santé-Environnement (2000) (Formation de qualiticienne en Milieu de Soins)

Université TOULOUSE III

-  Directrice de recherche de ce mémoire :

Professeur Monique MAINGUET

Laboratoire de Géographie Zonale pour le Développement Université de Reims. Membre de l’Institut Universitaire de France.

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Pour en savoir plus :

-  « Aral ». Monique MAINGUET-René LETOLLE, Edition Springer- Verlag
-  « Mer d’Aral, les bateaux qui pleurent » (photos), Nicolas DESCOTTES. Edition Hazan
-  « Mujnak assassiné », Alain SURGET. Edition Livre de poche jeunesse
-  « Des monts Célestes aux sables Rouges », Ella MAILLART. Edition petite bibliothèque PAYOT

Documentation internet :

-  « Ask us, involve us » Oral ATANIYAZOVA
-  « Mer d’Aral : Dépasser les gâchis du Passé. Les cahiers de l’UNESCO 2000 Sue LLOYD-ROBERTS-Ethirajan ANBARASSAN
-  « Requiem for a dying sea ». People and the Planet. Don HINRISCHSEN
-  « La mer d’Aral se meurt », Santé du Monde 07-08 1992, Rudolph SLOOF

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Gaïpov, le vieux pêcheur de Mouynak : Témoignage

[...] Je suis né en 1924. Je suis kazakh. Toute ma vie, je l’ai passée à Mujnak. J’ai toujours été pêcheur. J’ai d’abord commencé comme simple matelot. Et puis je suis devenu Capitaine de navire. J’ai eu 10 hommes à mon commandement. Il y avait beaucoup de poissons autrefois. Tous étaient très bons. Nous pêchions des tonnes de poissons tous les jours, surtout des poissons au long nez... On m’a dit qu’il y en avait aussi dans la Caspienne... Bien sûr, nous vivions mieux avant que la mer ne disparaisse. Le travail n’était pas facile, mais nous étions tranquilles. Maintenant, le temps change. L’air est devenu irrespirable. J’ai arrêté de pêcher en 1980... Pour des raisons de santé. Je suis malade. Nous savons que l’eau n’est pas bonne, et qu’elle donne des maladies. Mais que pouvons-nous faire ? J’ai eu 5 filles et 3 fils. Aujourd’hui ils ont dû partir dans les grandes villes pour chercher du travail... A Nukus, à Tachkent... Avec ma femme, je m’occupe de mes petits-enfants. Ils sont restés chez nous. Je suis fier d’eux. Ils travaillent bien à l’école. Ils ont de bonnes institutrices. Ils feront des études plus tard, et je suis content. Je ne crois pas que je reverrai la mer d’Aral. Je pense que mes enfants et mes petits-enfants ne la reverront pas non plus.

Je suis heureux d’apprendre que des étudiants d’un pays si lointain s’intéressent à notre vie, et je vous en remercie. [...] Les responsables français ne sauraient sauver notre Aral. Un seul pays ne pourrait pas nous enlever de notre misère. Il faudrait que tous les pays riches des nations occidentales acceptent d’unir leurs efforts pour aider notre économie...

Mais je ne suis pas sûr que cela soit possible...

(Traduit du kazakh, karakalpakh puis en anglais par M. REIMOV

Traduit de l’anglais par Katia pour « Projet Aral »)

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